« Laurent Gbagbo est là ! » L'annonce au microphone soulève une clameur sans fin. La foule, déjà électrisée par les mélodies du zouglou et la voix de la diva Aïcha Koné qui résonnent depuis des heures place Ficgayo, se réjouit. Chemise blanche, lunettes de soleil carrées sur le nez, bras levés, l'ancien président apparaît enfin sur scène. Nady Bamba, sa compagne, soutien indéfectible depuis deux décennies, marche sans sa trace.
Le 31 mars, deux ans après la confirmation de son acquittement par la Cour pénale internationale (CPI) alors qu'il était accusé de crimes contre l'humanité lors de la crise postélectorale de 2010-2011, Gbagbo se trouve à Yopougon, une commune de l'ouest d'Abidjan considérée comme l'un de ses bastions. Il est venu célébrer sa « renaissance ».
Première grande réunion PPA-CI
Ce grand rendez-vous est le premier à se tenir à Abidjan depuis son retour sur le sol ivoirien en juin 2021, et le lancement du Parti des peuples africains-Côte d'Ivoire (PPA-CI) dans la foulée. L'ancien chef de l'Etat, affaibli par des années de prison, avait jusqu'ici limité ses sorties publiques, s'aventurant peu en dehors de la capitale économique, sauf pour se rendre dans son village natal de Mama ou dans l'ouest du pays, notamment à Duékoué, le ville où, en 2011, l'un des principaux meurtres attribué aux forces pro-Ouattara.
Son entourage disait qu'il cherchait des clés pour comprendre et identifier cette « nouvelle » société ivoirienne dont il s'est éloigné pendant près de dix ans, dont huit passés au pénitencier de Scheveningen à La Haye. L'un de ses rares déplacements à l'étranger fut également celui de rendre visite à son ancien compagnon de prison, Jean-Pierre Bemba, récemment nommé vice-premier ministre chargé de la Défense en RDC.
Réhabilitation d’un « innocent »
Ce 31 mars, votre « fête de la renaissance » pourrait très bien s’appeler une « fête de la réhabilitation ». Tout au long de son discours, Laurent Gbagbo s'est battu pour rembobiner le fil de l'histoire, depuis son arrestation jusqu'à son acquittement définitif, « le jour où l'innocence des innocents a été reconnue », a-t-il dit, emporté par les applaudissements de ses partisans.
« Si la Côte d'Ivoire veut être une nation de paix, de justice et de vérité, nous devons faire en sorte que notre pays bien-aimé continue à rechercher les coupables », poursuit l'ancien président, qui insiste sur la nécessité de trouver « la vérité pour que il n’y a personne n’est suspecté. Et de citer, en désarroi, « le commandement invisible », « les autres rebelles », l'armée française ou l'ONU. Si ce n'est pas lui, ce doivent être les autres.
Ce discours offensant intervient dans un contexte particulier : en septembre, des élections locales, municipales et régionales auront lieu en Côte d'Ivoire. Un premier test majeur pour le PPA-CI, ce parti « panafricaniste et souverainiste » – fondé après l'implosion du Front populaire ivoirien (FPI), remis à Pascal Affi N'Guessan – dont l'implantation se poursuit dans le pays.
De ces élections, Laurent Gbagbo, 77 ans, ne dira pas un mot. « Ce n’était pas l’endroit. Il ne s’agissait pas de lancer la campagne, mais d’un moment de communion avec ses militants et sympathisants », insiste un proche collaborateur.
Cette rencontre était surtout l'occasion de lever les doutes de certains, inquiets pour cet ancien tribun de premier plan dont ils attendaient un retour retentissant en politique. « Il fallait le rassurer sur sa volonté et son envie de faire du PPA-CI le principal parti d'opposition et sur son évolution lors des prochaines élections locales », confie Justin Koné Katinan, porte-parole et vice-président exécutif du parti.
attirer les jeunes
Le 1er avril, deuxième acte de cette « Fête de la Renaissance » au Palais de la culture de Treichville. L'ambiance y est plus tamisée qu'à Yopougon la veille. Un salon a été recréé sur scène avec un mur imitation bois, une bibliothèque, deux fauteuils confortables... Une table basse, surmontée d'une orchidée blanche, supporte des verres d'eau posés sur un drap.
Ce jour-là, le vieil homme président répondre aux questions des jeunes. Ce salon est le sien, dit-il, quitte à exagérer la carte de proximité. « Au début, je voulais en discuter avec les jeunes à la maison, mais on voit que c'est impossible, alors j'ai apporté quelques éléments ici, comme ces chaises baoulées. Merci les jeunes, merci d'être revenus à la maison. »
L'échange dure plus de deux heures. Qu’attendent-ils de l’ancien chef de l’Etat ? Qu’est-ce que cela peut leur apporter ? « Rien », répond brusquement Laurent Gbagbo à un étudiant qui l'interroge. « Quand on n’est pas au pouvoir, il n’y a pratiquement aucun moyen de résoudre les problèmes. Mais quand nous serons au pouvoir demain, nous en aurons tous les moyens», explique-t-il. Le public se lève et applaudit sauvagement.
Gbagbo affirme cependant être capable de « trouver des petites solutions ». Habiba Touré, son avocate historique, est chargée de détailler les propositions du PPA-CI pour ces jeunes qui n'avaient pas 10 ans lorsque l'ancien chef de l'Etat a été arrêté à Abidjan et qui voteront pour la première fois aux prochaines élections locales.
« Le président a réaffirmé aux jeunes que rien ne s’obtient avec grâce ou facilité, qu’ils doivent se battre. C'est seulement à ce prix qu'ils obtiendraient ce qui leur est dû et qu'ils prendraient leur place dans la société», expliquait quelques jours plus tard son chef de cabinet, Emmanuel Ackah, dans des entretiens avec le quotidien pro.-Gbagbo. la météo – journal suspendu six jours début avril, notamment pour avoir accusé la justice ivoirienne d'exploitation par les autorités suite à l'arrestation de militants du PPA-CI.
Candidat en 2025 ?
« J'ai remarqué dans cet échange, et dans son discours lors d'un meeting de Yopougon, une forme d'adieu. La volonté de passer le relais à une nouvelle génération, en veillant avant tout à sortir d'un parti solide et à se réhabiliter», analyse un leader du parti.
Dans ce cas, Laurent Gbagbo sera-t-il candidat à l'élection présidentielle de 2025 ? « Cela ne fait aucun doute, répète invariablement Justin Koné Katinan. « Nous n’avons pas de plan B », insiste-t-il. Mais cela se heurte à un obstacle juridique. En août, Alassane Ouattara avait annoncé qu'il accordait une grâce présidentielle à son prédécesseur, condamné à vingt ans de prison par la justice ivoirienne dans l'affaire « agression de la BCEAO ». Une grâce, et non une amnistie, qui lui aurait permis de recouvrer ses droits civiques.
« Aucune manœuvre ne peut empêcher Laurent Gbagbo d'être candidat s'il le souhaite, garantit Katinan. Une amnistie lui sera accordée pour corriger l'injustice qui lui est faite. J'espère que ce n'est même pas un problème Pour Nous. "