jeudi, novembre 21, 2024
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Entre Algérie et Tunisie, François Élie Roudaire et l'utopie de la mer intérieure

LE RÊVE MAGRÉBIEN DES AVENTURIERS EUROPÉENS (1/4) – François Élie Roudaire pose la plume et regarde, avec une grande satisfaction, mais aussi avec une profonde appréhension, le document qu'il vient de rédiger. Ce projet est une vie à part entière. Il n'est pas loin de penser qu'il s'agit aussi de l'humanité, enfin issue de ce qu'on appelle le monde antique. Il ferme les yeux et savoure l'instant. Au même moment, à des milliers de kilomètres, le succès de la présentation à Port-Saïd (Egypte) du canal de Suez, le 17 novembre 1869, lui confirmait qu'il était en phase avec les avancées scientifiques et que son idée méritait d'être fouillé.

Ce projet de « mer intérieure » le taraude depuis plusieurs années. Elle s'inspire des explorations et relevés topographiques qu'ils effectuèrent dans la région de Biskra à partir de 1864, lors d'une de leurs premières missions. Né à Saint-Cyr et à l'École d'application, fils du directeur du musée d'art et d'archéologie de Guéret en Creuse, il se destine à une carrière scientifique dans l'armée. Il sera géographe, géodésiste et géomètre, spécialités qui le mèneront dans le sud de l'Algérie, colonie française depuis 1830 mais encore inexplorée.

En effectuant des relevés topographiques dans la région de Biskra, Roudaire a remarqué d'importantes dépressions salines et a noté que, sur les cartes, celles-ci s'étendent jusqu'en Tunisie. Il ne le sait pas encore, mais il Vous venez d'entamer une réflexion qui va changer votre vie. Dans ce minéral, la présence de sel dans le paysage intrigue : plus les observations avancent, plus le lien entre la dépression des Chotts et le lac du Triton décrit par Hérodote se fait.

Des cartes anciennes, dont celles de Ptolémée, confortent son raisonnement autant que les écrits d'Ibn Shabbat, un érudit arabe du XIIIe siècle né à Tozeur, sur les rives du Chott el-Jérid en Tunisie. Des géographes, dont Conrad Malte-Brun, et des historiens ont également localisé la mythique Atlantide aux confins de l'Atlas et estiment qu'elle aurait été détruite par un tremblement de terre qui aurait asséché la « seconde Méditerranée » qui la bordait au sud.

Des cartes et relevés plus récents réalisés par Roudaire montrent qu'une série de chotts situés entre l'Algérie et la Tunisie forment un lac intérieur. De là, imaginer que ce serait la survie du lac Triton et qu'il suffirait d'en créer un situé avec la mer du côté de Gabès, en Tunisie, pour créer une mer, juste une étape que franchit le jeune officier. A lui de développer ses recherches pour prouver la prédiction de ce projet.

Transformez le désert en une enclave fertile

Si Suez relie deux mers entre elles, le projet Roudaire est encore plus ambitieux puisqu’il vise à créer – ou ressusciter – une mer et à transformer le désert en prairies verdoyantes. Une ambition digne d'un XIXème siècle, curieux et avide de progrès. Franc-maçon et républicain, Roudaire promeut son projet à travers La Revue des Deux Mondes et entend convaincre l'homme du moment, Ferdinand de Lesseps, du bien-fondé d'inonder « un bassin d'une superficie égale à environ dix-sept fois celle du lac Léman par un canal qui se jette dans le golfe de Gabès »… L'évaporation rendrait le climat humide et transforme le désert en une enclave fertile.

La perspective d'offrir à la France de nouvelles routes vers l'Afrique et l'Est, modifiant la configuration de l'Algérie, constitue également un argument utile pour mener à bien un chantier qui s'annonce colossal. Parmi les signes encourageants qui galvanisent Roudaire : l'intérêt des sociétés scientifiques et surtout celui de Ferdinand de Lesseps, diplomate et lobbyiste avant l'heure qui conduisit à la construction du canal de Suez. Très vite, les deux hommes décident de travailler ensemble. Roudaire d'encadrer la partie scientifique et technique, Lesseps met à profit ses relations interpersonnelles avec les pouvoirs publics et l'Académie des sciences.

Les fonds, 10 000 francs, nécessaires à la réalisation des études préalables de reconnaissance et de nivellement sont accordés par l'Assemblée nationale. Roudaire revient sur le terrain, effectue une série de missions en 1874, et à chaque fois, en 1876, 1878, 1883, il fait le même constat profond confirmé par la Société de Géographie : le niveau du Chott el-Jérid est de 15 à 33 mètres au dessus de la mer, et la partie située entre le golfe de Gabès et le Chott, qui aurait dû être l'embouchure de cette mer, culmine à 48 mètres au dessus de la Méditerranée, empêchant la mer de remplir un bassin mesurant 400 km de long et 60 km de large et une surface utile de 13 000 km².

Roudaire étudie toutes les possibilités, y compris surmonter le piège du dénivelé en modifiant l'emplacement du canal, qui serait plus long (240 km, contre 18 prévus) et plus coûteux. Il s’appuie sur la force des masses d’eau qui s’écoulent dans le canal pour contribuer à son creusement.

Le gouvernement français est tenté par le projet, dont le coût était initialement estimé à 73 millions de francs, mais seulement dans la mesure où il était viable. Une étude parallèle commandée par l'Académie des sciences confirme les écueils soulignés par Roudaire, devenu professeur à Saint-Cyr, mais qui persiste à promouvoir son projet en vantant ses effets sur le climat, l'agriculture et le commerce dans le sud tunisien. Malheureusement, le gouvernement français ne le fait plus : en juillet 1882, il se retire suite à la publication des contributions d'une commission supérieure de la mer intérieure, qui confirment que l'entreprise est très dangereuse.

Nouvelle mission, nouvel obstacle

Le simonien saint Ferdinand de Lesseps ne veut cependant pas renoncer à ce qu'il considère encore comme une bonne affaire, même à des coûts plus élevés. Il se dit prêt à réaliser des travaux en cinq ans, à hauteur de 200 millions de francs, et à en assumer les risques. En contrepartie, réclamer à l'État une partie des terres devenues fertiles. Ses détracteurs assuraient que la forte évaporation impacterait le remplissage des chotts et soulèverait des questions sur le sort des indigènes, mais Lesseps persiste.

En 1881, la Tunisie devient protectrice des Français. Lesseps, qui connaît le pays, obtient le soutien des hommes sur le terrain, à savoir Joseph Allegro, un général tunisien d'origine génoise, influent auprès des autorités coloniales et du bey. En 1882, avec Roudaire, il crée la Société pour l'étude de la mer intérieure africaine qui finance, en 1883, une nouvelle mission à Tozeur. Au final, il s’avère que le caractère calcaire du terrain constitue en certains points un obstacle rédhibitoire.

Cette fois, le projet échoue, d'autant que Lesseps est à son tour mêlé au scandale financier du canal de Panama. Interrogé par la communauté scientifique et son état, Roudaire est épuisé. Il ne supporte pas les perseflages et meurt d'une maladie du foie en 1885. La Société pour l'étude de la mer intérieure africaine survit un temps en exploitant une ferme à Gabès. Dernier vestige de l'utopie du géographe-aventurier, disparu en 1892.

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Yann Amoussou
Yann Amoussouhttps://afroapaixonados.com
Né au Bénin, Yann AMOUSSOU a apporté avec lui une grande richesse culturelle à son arrivée au Brésil en 2015. Diplômé en Relations Internationales de l'Université de Brasilia, il a fondé des entreprises telles que RoupasAfricanas.com et TecidosAfricanos.com, en plus de coordonner le volontariat projet « L'Afrique à l'école ». A 27 ans, Yann est passionné de panafricanisme et depuis tout petit il rêve de devenir président du Bénin. Sa quête constante d'approfondir la connaissance des cultures africaines l'a amené à créer la chaîne d'information AfroApaixonados.
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