« Aucune colère ne peut justifier mon écart de langage. Vous qui m'écoutez, je vous dois du respect. Et utiliser certains mots, c’est les manquer pour celui qui prend le temps de vous écouter. Je m'excuse humblement pour mon comportement. » Le 12 janvier 2023, sur son compte Facebook, Nitdoff a publié un message d'excuses à l'intention de ses plus de 250 000 abonnés.
Quelques minutes plus tôt, casquette vissée sur la tête et chaînes argentées autour du cou, le rappeur démonstratif venait de crier sa colère face aux dysfonctionnements de son pays dans une vidéo live d'une demi-heure. « Mafiosos », « voleurs », « fils de… », comptines fleuries et insultes fusent, en wolof et en français. L’artiste exaspéré a fustigé le gouvernement sénégalais et le président Macky Sall, accusés de mettre en doute sa volonté, ou non, de briguer un troisième mandat. Dans un climat politique tendu, à 13 mois des élections présidentielles, ce cri venu du cœur du rap sénégalais monumental a circulé sur la toile. Et elle est parvenue au ministère public, qui a ordonné l'ouverture d'une enquête.
Aperçu
Six jours plus tard, le 18 janvier, Nitdoff a été arrêté par la Sûreté urbaine de Dakar à son domicile du quartier Nord Foire. Il est poursuivi pour « diffusion de fausses nouvelles, outrage au tribunal et menace de mort ». En garde à vue, l'artiste assume ses responsabilités et précise : « Si je dois parler au Président, je le ferai. Je n'ai pas peur de lui. Ceux qui soutiennent le troisième mandat doivent être mis hors de danger. » Placé sous mandat d'arrêt le 24 janvier dans l'attente de son procès, il n'a plus quitté la maison d'arrêt de Rebeuss depuis, il a Dakar.
« Au début, on pensait qu'il ne passerait que deux semaines là-bas à se taquiner, reconnaît Shaem Diop, son manager depuis 2018. Puis on a compris que l'objectif était de le faire taire définitivement. » Pour cet ami de longue date, « l'arrestation n'était pas une surprise. « Nit » était à l'honneur. Il a toujours été une cible politique et j’ai mille histoires d’émissions où nous avons été injustement bloqués. »
Exemple le plus récent ? La douzième édition du Show of the Year, le plus grand événement hip-hop au Sénégal, créé en 2009 par Nitdoff lui-même. Un concert d'une dizaine d'heures ouvert aux MC débutants, qui a pris l'habitude de se terminer tôt le matin. Le 16 décembre, veille de l'événement qui rassemble chaque année environ 10 mille spectateurs au stade Iba-Mar-Diop, le maire de Dakar a annulé la fête pour des « raisons de sécurité ». Malgré le soutien de Galsen de la part de l'ensemble du hip-hop, « cette décision à connotation politique a causé beaucoup de dégâts à Nit », rappelle Shaem Diop.
Son style 50 Cent, son charisme et les rumeurs selon lesquelles il serait en prison ont contribué à légitimer son récompense de rue et faire de lui le premier bad boy du rap sénégalais
Un succès qui se poursuit en 2007. Depuis Paris, un certain Nitdoff – « Nit » pour « personne sensée » et « doff » pour « fou » en wolof – lance le titre « Kalachnikov ». « Une explosion dans un paysage très fréquenté du hip-hop sénégalais », rappelle Serigne Seye, chercheur en cultures urbaines à l'université Cheikh-Anta-Diop. « Cet inconnu détonne avec toute la scène de l'époque avec des références et des attaques très claires contre ceux qui dynamisent le mbalax dans le rap. » Un « va te faire foutre » du MC Jean Gab'1 avec une touche sénégalaise qui met en valeur ce rappeur musclé. Un camouflet d'autant plus frappant que Nitdoff "n'est pas un garçon de Dakar ou de sa banlieue, il vient de Louga, ville traditionnellement connue pour sa danse mbalax", poursuit l'universitaire.
Boîte de prison
Né le 31 juillet 1984 à Louga, dans le Nord-Ouest, Mor Talla Guèye « est devenu le premier rappeur régional à exploser ». Un exploit pour ce passionné de musique, tombé dans le rap avec son groupe BMG dans les années 1990. Face aux rares perspectives qui se présentaient au Sénégal, il s'est exilé à Paris, où vivait son père, au début des années 2000, bien décidé à lancer un album. . En France, le Sénégalais navigue entre problèmes – allant même jusqu’à la prison – et rencontres artistiques. En 2006, celle avec Mao Prod va changer votre vie. De son vrai nom Mao Sidibé, ce producteur sénégalais tente également de percer dans la musique. « J'ai adoré son énergie, et nous avons les mêmes références dans le hip-hop Cainri – de Just Blaze aux sons hardcore français – et déjà des revendications pour l'Afrique. »
Lancé vers leur rêve de réussite, le duo sort son premier album M'Bédé Bi (« la rue » en wolof) en 2007, pour lequel Roc de Louga a été élu révélation rap de l'année au pays de la Téranga. Un titre qu'il célèbre en déambulant avec ses chaînes en or, ses Timberlands et son bandana lors d'une balade dans la banlieue de Dakar, puis à travers la région, « où son gangsta rap militant séduit la jeunesse », analyse Serigne Seye. « Son style 50 Cent, son charisme et les rumeurs selon lesquelles il était en prison ont contribué à légitimer son récompense de rue et faire de lui le premier bad boy du rap sénégalais. »
Un rappeur coriace dont l'accueil sera poli au rythme de ses engagements politiques. En 2012, touché par l'actualité sénégalaise, il devient partisan du mouvement populaire Y'en a marre et décide de revenir à Dakar. « Mor Talla lutte contre tout ce qu'il juge injuste et est prêt à prendre tous les risques », témoigne Mao Sidibé. « Lors des manifestations de 2012, par exemple, je l'ai vu seul défendre une femme qui était attaquée par cinq ou six criminels. En plus de l’agression, nous avons rendu un mauvais service à la cause. » Nitdoff n'hésite pas non plus à critiquer l'autre poids lourd du rap de Galsen, Canabasse, qui demande de ne pas descendre dans la rue.
Complicité publique avec Ousmane Sonko
«Ses prises de position engagées sont très appréciées des membres du mouvement hip-hop traditionnellement contestataire, et il devient le porte-parole des aspirations et des combats de la jeunesse sénégalaise», explique Serigne Seye. Principalement parce que son influence dépasse le stade de l'organisation des actions au cours de la ndogou (rupture du jeûne) ou des dons envoyés aux orphelinats. Un militantisme qui se poursuit en musique, en 2016, avec un double album, Roi d'Afrique – hommage aux héros du continent –, qui a connu un succès phénoménal, illustré par deux concerts à guichets fermés en 48 heures, au Grand Théâtre national de Dakar, puis au stade Iba-Mar-Diop.
Parallèlement, un jeune homme politique ambitieux, Ousmane Sonko, se fait connaître dans l'opposition sénégalaise. "Même s'il n'a jamais voulu suivre un homme politique, Nitdoff a vu son arrivée comme une bonne nouvelle car ils se sont naturellement rencontrés dans leurs combats contre la corruption, la pauvreté et la démocratie", affirme Shaem Diop. D’ailleurs, c’est Ousmane Sonko qui a rejoint Nitdoff et non l’inverse. » Complicité publique et attaques de plus en plus frontales contre le président – « Macky nous tue, Macky nous torture » dans la chanson « C'la dictature » sortie en 2022 – qui, pour beaucoup, serait le motif de son arrestation. « Si vous faites campagne pour Pastef [parti des Patriotes africains du Sénégal pour l'éthique, le travail et la fraternité], vous savez ce qui vous attend… », affirme un ancien membre du mouvement Y'en a marre qui préfère garder l'anonymat. . « Dans notre pays, plusieurs centaines de partisans ont décidé d'arrêter Nitdoff en raison de son appartenance politique. »
Ces derniers mois, vous avez vu se succéder des manifestations de soutien de rappeurs (Xuman, Fou Malade, Docta Wear) et de fans, pour qui l'arrestation d'un monument au mouvement est vécue comme une agression. Le 15 février, bien avant de connaître des mois mouvementés, le candidat à la présidentielle Ousmane Sonko a participé à une marche d'importation au rythme de « Libérez Nitdoff ! » Depuis, l'opposant politique a été condamné à deux reprises, a vu son parti dissous et a entamé une grève de la faim pour dénoncer sa situation le 30 juillet, avant d'être arrêté le lendemain. Il a été suivi par de nombreux prisonniers sympathisants, dont un certain Mor Talla Guèye, dont les demandes de liberté provisoire ont été rejetées pendant huit mois. "C'est très difficile pour lui, mais surtout pour sa famille, dont ses trois enfants, avec qui il ne peut plus communiquer", confie son manager. Les gens connaissent votre loyauté et votre engagement en faveur de la liberté d’expression depuis plus de quinze ans. Il ne changera pas. C'est ça Nidoff… »