Comme tout bon provincial, Bruno Nabagné Koné a d'abord rêvé d'Abidjan en regardant des cartes postales. Il s'y rend pour la première fois à l'âge de 17 ans, pour passer des vacances avec ses parents. Né le 6 septembre 1960 à Kouto, au nord du pays, quelques semaines après l'indépendance, Bruno Nabagné Koné a tout vu de son pays avant de découvrir la capitale : « Mon père était militaire, on ne voyageait plus de caserne en caserne : Bouaké, Korhogo, Sassandra, Daloa, Bouaflé, Dimbokro, etc. Pour moi, Abidjan était un rêve d'enfant, une grande ville avec des tours comme on en voit dans les films américains. La première fois que j'ai visité cette ville, c'était à pied, pour tout voir, dans les moindres détails, les quartiers de Treichville, Adjamé… voir la mer à Port-Bouët, mais découvrir le Plateau. »
De culture Sénoufo, il entretient un lien avec Kouto et sa région, incarné par sa grand-mère maternelle, dont il est très proche depuis le décès prématuré de sa mère. Enfant, l'étudiant tombe amoureux de la littérature française et rêve de devenir médecin ou architecte. Lorsque ses études le lui permettent, il adore jouer au basket, une passion qui ne le quittera jamais : il est aujourd'hui président d'honneur de la Fédération ivoirienne de basket-ball. Bruno Koné a fait toute sa scolarité dans des établissements catholiques, notamment à la célèbre école Saint Viateur de Bouaké, où il a obtenu sa licence scientifique.
Pas dans le succès
Après avoir fréquenté l'Abidjan Business School (Esca) et HEC-Paris à Jouy-en-Josas, Bruno Koné débute sa carrière chez Arthur Andersen (1985-88), aujourd'hui Andersen Consulting. Il y rencontre son futur patron, Patrick Achi, chef de mission, qui relève au passage les qualités humaines et professionnelles de ce jeune social-libéral, futur militant ouattarien. Bruno Koné a gravi les échelons de la réussite à Abidjan en occupant différents postes de directeur financier chez Chanic (1988-1991), Sifcom (1998-2001), avant d'être recruté en 2003 par Côte d'Ivoire Télécom, opérateur historique du pays. pays . . Il en devient directeur général deux ans plus tard, avant de rejoindre la direction du groupe France Télécom-Orange à Paris en 2008, où il occupe successivement les postes de directeur de l'audit financier et de directeur des affaires réglementaires et institutionnelles de la zone AMEA. (Afrique Moyen-Orient Asie).
Son exil à Paris fut de courte durée. En 2011, un certain Amadou Gon Coulibaly, alors secrétaire général de la Présidence de la République, l'appelle pour le supplier de rentrer à Abidjan au plus vite. Respectant les engagements professionnels de l'époque, il hésite, rate son premier vol, puis part vers l'inconnu et apprend, lors d'une escale, qu'il a fini par être nommé ministre des Postes et Technologies de la communication. En apprenant la nouvelle dans son mail, Bruno Koné ferme les yeux et se voit enfant, jouant de la trompette dans l'orchestre du collège pour l'arrivée du président Houphouët-Boigny. Toute une destination. Le lendemain, après les premières rencontres avec le président Alassane Ouattara et le Premier ministre de l'époque, Guillaume Soro, il est nommé porte-parole du gouvernement.
Grand orateur, mais malgré tout discret et fidèle à son domaine, Bruno Koné monte doucement dans la galaxie Ouattara. Il a aussi un autre atout, et non moins important : Masséré Touré-Koné, son épouse, est aussi… la nièce du président. Après avoir débuté sa carrière au sein du groupe Jeune Afrique, il rentre au pays pour rejoindre l'équipe de son oncle lors de la campagne présidentielle de 2010 et ne cesse depuis de progresser au sein du groupe. Tour à tour conseillère puis directrice des commissions à la présidence, influente au sein du RHDP, Mme Touré-Koné est secrétaire générale adjointe de la présidence de Côte d'Ivoire depuis janvier 2022 et continue d'être considérée comme une fidèle partisane d'Alassane Ouattara.
Rêves d'enfance
En 2018. Gon Coulibaly est Premier ministre et apprécie Bruno Koné pour son sens du travail bien fait, « sa rigueur financière ». Il lui propose un nouveau poste plus exposé. Avant de préciser sa mission, il le prévient : « Aucun ministre n'a quitté ce ministère avec une bonne réputation, nous comptons sur vous »… Bruno Koné devient ministre de la Construction, de l'Habitat et de l'Urbanisme. A l'époque, les interminables disputes foncières, les nombreux scandales, dont celui des « deguerpis », ces pauvres habitants expulsés de force de leurs maisons insalubres, avoir terni l'image de son prédécesseur.
« C'est drôle parce que je n'ai pas vraiment étudié pour ça, mais quelque part, mon travail est lié à mes rêves d'enfant. Je considère mon rôle comme essentiel pour assurer le bien-être des Ivoiriens. Avoir un toit et être bien chez soi est un droit fondamental. On travaille bien, on n'est heureux que quand on est bien logé. Partout, la construction contribue de manière significative à la production économique et à la création d’emplois. Malheureusement, malgré nos efforts, nous n’avons pas encore atteint les objectifs fixés.
Quatre ans après sa prise de fonction, le bilan de Bruno Koné à la tête de ce ministère est très positif, malgré quelques revers et retards. Un projet ambitieux de modernisation de la gestion du territoire urbain est en cours et 30 000 logements sociaux ont déjà été construits.
Ventilation naturelle
« Aujourd’hui, les besoins en logements sociaux sont estimés à 600 000, dont 500 000 à Abidjan. Notre ambition est d'en construire 40 000 à 50 000 par an dans les dix prochaines années », explique-t-il. Parfois jugé « trop technocratique », l'élégant ministre qui se rêvait architecte, n'hésite pas à se rendre sur les chantiers avec un casque et donne souvent des instructions pour réfléchir et construire des bâtiments plus écologiques. « Nous avons la chance d’avoir des architectes très compétents, qui ont pris en compte toute la richesse de nos savoirs traditionnels africains. Par exemple, nous essayons de privilégier la ventilation naturelle des bâtiments plutôt que la climatisation. Aujourd’hui, la densification de notre habitat est indispensable. »
Ces dernières années, l'abandon d'une quinzaine d'immeubles mal conçus a écorné son image de « bâtisseur ». « Depuis 2020, nous soutiendrons la loi et renforcerons la surveillance, notamment à travers la Plateforme collaborative de contrôle des bâtiments (PCCC), qui implique désormais les conseils municipaux. » Ce qui n'empêche pas une nouvelle fièvre immobilière verticale de s'emparer d'Abidjan : la future Tour F, construite par Pierre Fakhoury, devrait redonner à Abidjan son statut de grande capitale régionale. Imaginé et attendu depuis plusieurs décennies, cet immense édifice en forme de masque africain, sixième tour du centre administratif de la ville, deviendra le plus haut d'Afrique.
« Abidjan se distingue par sa modernité, attractive et futuriste. Cette tour sera l'un des symboles d'une Côte d'Ivoire forte et ambitieuse… Mais ce n'est pas du bling-bling ! Nous sommes dans un environnement où il y a un manque de bureaux, d’espaces commerciaux, d’hôtels, etc. Cette tour contribuera à réduire ce déficit et pourra également abriter une partie de notre administration», affirme le ministre.
Bruno Koné, grand mélomane à ses heures, amateur de jazz et de reggae, observe du haut de sa tour ministérielle, récemment réhabilitée, Abidjan renaître de ses cendres, peut-être avec les paroles d'un de ses chanteurs en tête. Favoris, Alpha Blondy : « J'ai une chance incroyable, Dieu a fait de moi un tisserand dans rêves. »