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Agathe Habyarimana, la « veuve noire » du Rwanda

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L'épave de l'avion du président Juvénal Habyarimana, tué lors d'un attentat le 6 avril 1994. © Bouju/AP/Sipa

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Attentat du 6 avril 1994 : retour de l'enquête sur les discordes entre la France et le Rwanda

  • Agathe Habyarimana, la « veuve noire » du Rwanda
  • France-Rwanda : retour sur une enquête manipulée

[Série] Les femmes dans l'ombre… et au pouvoir (3/5) – Mercredi 6 avril 1994, vers 20h30 Dans les jardins de la résidence présidentielle de Kigali, l'histoire du Rwanda vient de basculer. Abattu par deux missiles sol-air, le Falcon 50 transportant le président rwandais Juvénal Habyarimana, son homologue burundais Cyprien Ntaryamira, sept membres de leurs délégations respectives et l'équipage de l'avion, composé de trois Français, venus de Dar es Salaam a été abattu par deux missiles sol-air tirés consécutivement alors que l'avion entamait son approche vers l'aéroport de la capitale.

Dans la matinée du 7 avril, Jeanne Uwanyiligira, 24 ans, et sa sœur Marie-Claire Uwimbabazi, 22 ans, se sont rendues au plus vite à la résidence présidentielle après avoir été bouleversées par la mort dans cet attentat, de leur père, docteur du Président. Habyarimana.

Ce jour-là, dans la résidence présidentielle et sur la terrasse, à quelques dizaines de mètres du lieu de l'accident où dormaient les douze passagers, étaient inscrites les dépouilles des victimes. Des militaires rwandais de la garde présidentielle et des militaires français sont également présents sur place. A Kigali, depuis l'aube, les massacres contre les Tutsis étaient déjà terminés.

Ce doit être l’heure de la méditation. Mais, selon les deux jeunes femmes, la réaction de la veuve du chef de l'Etat est âgée. « Pendant que je priais, Mme Habyarimana priait à haute voix pour demander d'aider les interahamwe [les miliciens extrémistes hutu] à se débarrasser de l'ennemi et que les militaires rwandais aient des armes. »

Selon d'autres témoins entrés dans la résidence présidentielle dans les heures qui ont suivi l'attaque et qui la raconteront plus tard, notamment devant le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), Agathe Habyarimana a donné ses instructions par téléphone, énumérant les noms des opposants comme elle les a éliminés. Parmi eux, la Première ministre Agathe Uwilingiyimana, une Hutu appartenant à un parti d'opposition. Elle sera tuée de sang-froid par les gardes présidentiels aux premières heures du 7 avril.

Nous avons entendu sœur Godelieve dire qu'il fallait tuer tous les Tutsis

Deux sœurs du chef de l'Etat – des religieuses – sont également présentes à la résidence présidentielle, ainsi que l'archevêque du Rwanda, qui se trouve être son cousin. première dame. Mais il ne s’agit pas de pleurer les victimes qui ont péri dans cette attaque, ni de prier pour que le Rwanda ne sombre pas dans la violence. « Nous avons entendu sœur Godelieve [Habyarimana] dire, dans la cuisine, qu'il fallait tuer tous les Tutsis », témoignent les filles du Dr Akingeneye dans leur ensemble de témoignages.

ennemi intérieur

Au sein de la famille présidentielle, selon ce rapport enregistré le 22 juin 1994 par le procureur militaire belge – l'équivalent des juges d'instruction en matière militaire – le climat est à la paranoïa. « Nous avons entendu Jeanne Habyarimana [l'une des filles du président défunt], sa mère et aussi Séraphin Rwabukumba [l'un des cousins d'Agathe Habyarimana, qui appartient au premier cercle des extrémistes Hutu] expliquer au téléphone qu'ils étaient les Belges [appartenant au contingent de casques bleus dépêchés au Rwanda par l'ONU depuis quelques mois] qui ont abattu l'avion et qui combattaient aux côtés du FPR. »

Pour les extrémistes autour d'Agathe Habyarimana, le Front patriotique rwandais, cette rébellion était composée majoritairement de Tutsis alors en voie d'intégration dans l'armée et le gouvernement dans le cadre des accords de paix d'Arusha, signés en août 1993, représentant l'ennemi intérieur. Et tous les Tutsis du pays sont soupçonnés de former la cinquième colonne.

« Parfois, Madame Habyarimana nous demandait de sortir pour certains appels téléphoniques », ajoutent les deux filles du docteur [par le FPR]. »

Évacuation

Le 9 avril, Agathe Habyarimana est évacuée par l'armée française venue organiser un transfert d'expatriés dans le cadre de l'opération Amaryllis. Avec elle, dans l'avion, se trouvaient de nombreux dirigeants importants du régime qui venait de commettre le génocide. "Elle est partie avec les Français sans nous demander de l'accompagner", ont déclaré Jeanne Uwanyiligira et Marie-Claire Uwimbabazi. Les soldats [rwandais] nous ont ramenés chez nous le dimanche 10 avril 1994. »

Agathe Habyarimana rejoint Bangui pour la première fois avec onze membres de sa famille : fils, filles, petites-filles, frère, sœur, nièces, neveux. Quatre jours plus tard, son sort est scellé à l'Élysée lors d'un Conseil restreint réunissant, autour du président François Mitterrand et de son Premier ministre, Édouard Balladur, les ministres de la Défense (François Léotard), des Affaires étrangères (Alain Juppé) et de la Coopération (Michel). Roussin), ainsi que plusieurs responsables de la Présidence de la République, de la Primature, du Secrétariat Général de la Défense Nationale (SGDN), des Ministères des Affaires Etrangères et de la Défense et du Secrétariat Général du Gouvernement. Le 17 avril, la veuve du président Juvénal Habyarimana est reçue à Paris.

Cette exfiltration s'accompagne de deux cadeaux : un bouquet de fleurs mais surtout un chèque de 200 000 francs à l'époque (30 487 euros). Officiellement, cette enveloppe est allouée dans le cadre d'une « Convention d'apport d'aide budgétaire exceptionnelle à la République du Rwanda », cosignée par le ministère français de la Coopération, à travers son directeur de cabinet, Antoine Pouillieute, et le ministre rwandais. des Affaires étrangères et de la Coopération, Jean-Marie Vianney Ndagijimana.

Selon un document rendu public depuis, « le ministère de la Coopération de la République française accorde à la République rwandaise qui en fait la demande, une aide budgétaire exceptionnelle » de ce montant qui « financera des actions urgentes en faveur des réfugiés rwandais ». Cependant, comme l'a révélé le quotidien libéral, au ministère de la Coopération française « tout le monde connaît les bénéficiaires » : « La somme est en réalité versée à la famille du défunt président, Juvénal Habyarimana. »

Elle a le diable dans son corps ! Elle est très difficile à contrôler

Quelques semaines plus tard, alors que le génocide perpétré contre les Tutsis avait déjà fait plusieurs centaines de milliers de victimes en raison de l'indifférence générale de la communauté internationale, une victime de l'ONG Médecins sans frontières a été reçue en audience par François Mitterrand à l'Elysée. Interrogé sur l'exfiltration vers la France d'Agathe Habyarimana, le chef de l'Etat prononce ces quelques mots sans concession : « Elle a le diable dans le corps ! S’il le pouvait, il continuerait à lancer des appels aux massacres depuis les radios françaises. Elle est très difficile à contrôler. »

Une appréciation qui tranche avec la clémence que le chef de l'Etat avait déclarée quelques semaines plus tôt à l'égard de la « veuve noire » du Rwanda.

Clan du Nord

Quatre ans avant le génocide, le colonel René Galinié, attaché de défense à l'ambassade de France à Kigali, avait déjà tiré la sonnette d'alarme, mais sans être pris au sérieux. En janvier 1990, en son rapport annuel au chef d'état-major de la Défense, il avait en effet indiqué que « le président est de plus en plus accommodant de se soumettre au contrôle du clan de son épouse, ce même clan qui sera, en avril 1994, le noyau des plus radicaux » », rappelaient, en 2021, dans leur volumineux rapport, les historiens et juristes de la Commission de recherche sur les archives françaises relatives au Rwanda et au génocide des Tutsi, présidée par Vincent Duclert.

« Ce même clan du nord, dans lequel sont recrutés la majorité des officiers et cadres politiques des Forces armées rwandaises (FAR), contrôle à la fois l'État et l'économie du pays depuis leur prise du pouvoir en 1973 », a rappelé dans son rapport le colonel Galinié.

Très pieuse, voire franchement fanatique, Agathe Habyarimana a même installé une chapelle privée à l'intérieur de la résidence présidentielle. Pourtant, bien avant le génocide, de nombreux témoignages convergeaient déjà pour lui attribuer un rôle à la fois discret et influent au moment où s'élaborait le plan d'extermination des Tutsis. Elle aurait été un pilier de l'Akazu (« la petite maison », en kinyarwanda), ce groupe informel d'extrémistes placé au cœur de l'État, de l'armée et du monde des affaires dont étaient liés plusieurs membres influents.

asile

Cela n'a pas empêché Agathe Habyarimana de trouver l'asile en France dans les années suivantes. Après un premier séjour de quelques mois en France, au moment du génocide, il reviendra quelque temps en Afrique, où il séjournera au Gabon, dans l'ex-Zaïre et au Kenya, avant de revenir en région parisienne à la fin du 1998, avec un passeport gabonais et une fausse carte d'identité. Au milieu des années 2000, six de ses sept enfants vivaient en France, certains bénéficiant du statut de réfugié, d'autres ayant même obtenu la nationalité française.

Toutefois, le statut d'Agathe Habyarimana ne sera jamais officialisé. En avril 2004, l'ancienne première dame saisit donc le maire d'une demande préalable d'admission au maintien sous asile et, le 8 juillet 2004, s'autorise auprès de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra). Le 12 décembre 2005, l'Ofpra n'ayant pas réagi – ce qui équivaut à une décision implicite de rejet – a cette fois fait appel à la Commission de recours des réfugiés.

Role central

Le feuilleton va se poursuivre devant le Conseil d'État, la plus haute juridiction administrative française. Le 16 octobre 2009, il licencie à nouveau Agathe Habyarimana, lui rappelant pourquoi elle ne pouvait pas demander le statut de réfugié.

« La Commission de recours des réfugiés a exposé en détail et longuement les raisons pour lesquelles elle a considéré que le génocide commis au Rwanda avait été préparé et planifié par le pouvoir en place avant le 6 avril 1994 et que Mme Habyarimana avait également joué un rôle central dans sa préparation. comme les événements survenus dans les premiers jours du génocide, entre le 6 et le 9 avril 1994, et qui ont par la suite maintenu le contact avec le gouvernement intérimaire puis avec le gouvernement rwandais en exil ; qu'elle a ainsi, tant dans le degré de planification préalable du génocide que dans le rôle de Mme Habyarimana, suffisamment justifié sa décision et a mis le juge de cassation en mesure d'exercer son contrôle. »

A son tour, la préfecture de l'Essonne, le département d'Ile-de-France où elle réside, refusera, en 2011, de lui accorder un titre de séjour. Une décision qui sera d'abord rejetée par le tribunal administratif de Versailles avant d'être confirmée, finalementpar le Conseil d'État.

Ni réfugiée politique ni extradée vers le Rwanda (la jurisprudence française rejette systématiquement cette option), Agathe Habyarimana n'a jamais été jugée pour son rôle dans la préparation et l'organisation du génocide perpétré contre les Tutsi en 1994. En février 2022, l'enquête Le juge Stéphanie Tacheau, chargée de l'enquête pour « complicité de génocide et crimes contre l'humanité » qui la persécutait, ouverte depuis 2008 à l'initiative du CPCR, a mis un terme aux réflexions sur ce dossier, prélude à son archivage – aucune charge n'a été retenue. prononcé contre cela. Agathe Habyarimana a certes été placée sous le statut de témoin assisté, mais l'hypothèse d'un renvoi devant un tribunal semble aujourd'hui dépendante.

Aujourd'hui âgée de 80 ans, l'ancienne première dame du « pays aux mille collines », résidente française sans titre, aura ainsi réussi longtemps à échapper au procès, gardant ses secrets et bénéficiant d'une impunité controversée.


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Yann Amoussou
Yann Amoussouhttps://afroapaixonados.com
Né au Bénin, Yann AMOUSSOU a apporté avec lui une grande richesse culturelle à son arrivée au Brésil en 2015. Diplômé en Relations Internationales de l'Université de Brasilia, il a fondé des entreprises telles que RoupasAfricanas.com et TecidosAfricanos.com, en plus de coordonner le volontariat projet « L'Afrique à l'école ». A 27 ans, Yann est passionné de panafricanisme et depuis tout petit il rêve de devenir président du Bénin. Sa quête constante d'approfondir la connaissance des cultures africaines l'a amené à créer la chaîne d'information AfroApaixonados.
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